:: 3 ans auparavant, Krabès Town ::
Foule de monde sur la falaise de Krabès, assemblés face à une immense statue de marbre. Une statue qui représentait un homme de petite taille avec une coiffure plutôt loufoque et portant des lunettes. Son sourire, sculpté dans de la pierre, contrastait beaucoup d’avec les mines maussades des gens. Certains regardaient cette statue d’un air grave, les plus subtils versaient des larmes pleines d’émotions.
Cette statue avait été construite à la place d’un des symboles de Krabès : Kholoss. On le surnommait « le Gardien de Krabès » auparavant. C’était un automate géant, de la même taille qu’un immeuble de quinze étages, et qui obéissait au doigt et à l’œil à ses concepteurs. Quelques semaines auparavant, l'ingénierie de grande instance avait sombré au large de Krabès à cause d’un dysfonctionnement. Un dysfonctionnement dû au fait que le gouvernement voulu transformer l'automate en un objet de guerre et ce en le modifiant un tantinet, causant ainsi le ravage d’une partie de la ville.
L’auteur de cet automate n’était autre que l’homme que l’on pouvait dépeindre de la statue : Larry Meckhane, un ingénieur naval très doué. Tout le monde rassemblé ici connaissait l’histoire de cet homme : un homme qui voulait à tout prix défendre la cité de Krabès face aux pirates. Cette volonté l’a poussé à mettre à bien cet immense projet qui avait nécessité l’aide de plus de 500 ouvriers. Mais ce n’était pas tout : cet homme était aussi celui qui avait poussé économiquement Krabès et à la faire démarquer du lot, si bien qu’elle devient l’une des îles les plus connues de la mer du Sud. Tout cela grâce à Kholoss, qui, par sa force rendait l'île aussi impénétrable qu'une forteresse marine.
Un homme moustachu, aux cheveux bleus, vêtu d’un costume noir et d’un cache-œil empruntait un chemin frayé par les barrières de sécurité. C’était Ienzo, l’un des acolytes de l'ingénieur, qui s’approchait vers la statue de marbre. Au pied de celle-ci, un amas de fleurs de toutes formes et couleurs s’était formées, toutes apportées par les habitants de la nation. Elles entouraient une sorte de croix de marbre où était gravé, en grandes lettres, le nom du défunt. Décorée par des guirlandes, des rubans et des banderoles fleuries, la tombe reflétait le ressenti de la population face à cette tragédie.
L’homme moustachu se tenait droit devant la tombe, la regardant sans expression de visage. Il finit par fermer les yeux et posait une flèche en or sur le devant. Une flèche symbolique, car c’était l’une des nombreuses dont se servait le robot géant.
Enfin, il finit par se relever et s’éloigner de la tombe, avant de demander à un de ses compères :
Ou est Jo ? demandait-il un peu brusquement.
Il est parti en mer tout à l’heure… il m’a dit qu’il rentrerait sûrement à la tombée de la nuit.Tss… ce bouffeur de figues n’est même pas là pour l’enterrement, dit-il en se lissant la moustache.
Je me demande s’il le fait exprès où s’il est vraiment con.***
* Ils doivent sûrement être à l’enterrement à l’heure qu’il est… *Pensait Jo en regardant le soleil sinuer à la surface sur les trombes d’eau qui l’engloutissaient. Quelques poissons de mer passaient au dessus de sa tête. Les bulles d’air, provoquées par sa respiration dans l’eau, lui chatouillaient le corps pour filer vers la surface. Lui jugeait ne pas avoir besoin d’aller à l’enterrement. A quoi cela servirait-il ? Larry était mort, et il se serait vraiment ennuyé à cette cérémonie. D’autant plus qu’on lui aurait sûrement demandé un discours, n’était-il pas l’un des meilleurs amis du défunt ? C’est surtout qu’il s’y serait senti mal. Il n’a jamais aimé les adieux de cette façon, et il avait besoin d’être seul, de réfléchir sur ce qui s’était passé il y a une semaine, de réfléchir et de faire le point.
Mais maintenant une seule chose l’obnubilait. C’était ces dernières paroles que lui avait laissé son ami alors qu’il était sur le point de mourir, au moment où il allait sombrer avec le colosse dans le large, au même endroit où se trouvait Jo en ce moment.
**ce n’est pas moi qui ai créé de toutes pièces le Kholoss… Quand Cocaye avait attaqué l’île il y a quelques années, nous étions partis nous réfugier dans les anciennes mines du pays… Eh bien c’est là que j’ai trouvé des plans… et ces trois boutons-disques. Et tu sais qu’est-ce que ces plans permettaient de construire ? Une machine qui détruirait tout sur son passage... et dont la puissance serait-elle qu’un Buster Call ne suffirait pas à qualifier son potentiel de destruction…**Ces paroles résonnaient dans sa tête comme un sombre écho. Les boutons-disques dont il parlait étaient ceux qui ornaient la solide armure du Kholoss. Chaque disque portait en réalité des instructions qui activait certains modes opératoires chez l’automate, en somme ce qui lui permettait de réagir face à certaines instruction. Ils étaient un peu comme le cerveau du Kholoss.
Jo, qui avait participé à la construction du gigantesque automate, avait été surpris d’apprendre une chose pareille, surtout de la part de Larry… Il s’était toujours dit que c’était lui qui était à l’origine de l’ensemble du projet, c’est bien en partie pour cela que Jo l’admirait beaucoup. Mais alors… qui pouvait bien avoir conçu les plans originels ? Le Kholoss n’était donc qu’une simple transformation des plans donnés… et pourtant, son potentiel de destruction était si grand qu’il était vraiment trop efficace pour Krabès. Pas étonnant que la marine voulut se l’approprier, pensait l'anémone.
Bientôt, le fond marin serait en vu. L’endroit devenait de plus en plus sombre mais on pouvait distinguer encore les choses. L’homme-anémone connaissait parfaitement l’endroit où siégeaient les vestiges de Kholoss. En vérité, il n’avait pas été détruit lors de l’explosion, mais avait sombré dans les eaux profondes, avait coulé comme un vulgaire bateau. Ah… ça rappelle l’histoire du Tite-Ane-Ik, une histoire bien triste pendant laquelle l’homme-anémone avait versé quelques larmes… oups… bon oubliez ce que je viens de dire…
Mais bientôt, alors qu’il atteignait le fond, Jo fut surpris. Très surpris. Et il faut dire que la surprise était de taille…