Putain d'merde, quel con j'suis. Pourquoi j'ai accepté ? Pourquoi j'pas refusé ? J'veux dire, ça puait l'embrouille à des kilomètres c'tte histoire. Alors quoi ? Parce que j'ai un animal au fond d'moi que j'sais pas dire non quand on m'parle d'bouffe ? La viande froide, c'est qu'c'est trop bon, j'pourrais en bouffer toute ma putain d'vie. L'vieillard l'avait bien compris, c'pour ça qu'il est v'nu m'trouver à moi. Et l'marché était trop honnête pour que j'puisse refuser. J'veux dire, l'accompagner sur cette île, protéger son p'tit cul et en échange, avaler tout c'qui m'tombe sous les crocs, c't'une putain d'affaire ! L'enflure a su trouver mon point faible et l'exploiter à son avantage, me v'là à jouer les gardiens maint'nant.

Pourquoi ? J'pas trop compris au juste. Ou du moins, j'pas vraiment écouté. J'ai capté l'important, cet endroit est mauvais pour les touristes. 'Faut pas s'fier au nom, c't'un foutu piège pour attirer les malheureux. C'est c'que l'grand-père a dit. Tu m'diras, pourquoi il veut y faire un tour s'il sait que c'dangereux ? Parce que son p'tit fils y est coincé, tiens. Qu'ils y sont allés tous les deux pour la première fois il y a une semaine, pensant passer d'vacances peinard dans une île d'rêve. Que dalle. C't'un véritable enfer qu'il m'a répété une centaine d'fois. Une machine bien rodée qui sait comment ça fonctionne. D'abord, on met à l'aise la clientèle. On endort toute méfiance.

Et quand la proie a baissée sa garde, l'prédateur s'jette sur elle toutes griffes dehors, fatalement. Ils enlèvent les gens, normal. Drogues, alcool, bon coup derrière la tête, gaz, tout est bon pour rendre inofensif l'colis avant d'l'emballer dans un gros sac et l'entraîner à l'abri des r'gards. C'qu'ils en font ? Aucune foutue idée. L'grand-père a pas pu en savoir plus, il était trop occupé à sauver son vieux cul ridé. On va pas lui en vouloir, j'aurais fait la même. Maint'nant, l'papy est courageux et veut pas laisser pourrir l'gamain sur c'morceau d'terre. Alors, il est v'nu me trouver. Que j'ai une gueule du type qui en a bavé toute sa chienne de vie, habitué à parler avec ses poings, l'profil parfait pour l'expédition.

On a causé tarif, négocier c'que valait d'risquer ma peau pour la marmaille. Il avait pas plus de quelques milliers de berrys sur lui, ça m'a fait d'la peine. Alors, j'lui ai laissé entendre que j'mangeais froid. Toujours froid. Il s'trouve que son oncle est éleveur, qu'il sait comment constituer mes r'pas pour les semaines à v'nir. Forcément que j'pas refusé. On a bu un verre de gnôle pour conclure l'affaire et l'lendemain, on prenait un p'tit navire pour nous conduire sur Dream Island. Un nom à gerber pour un coin qui l'est tout autant. En ch'min, j'ai tenté d'en savoir un peu plus. L'nombre des types en face, la gueule, comme ils fonctionnent, tout c'qui est bon à savoir quoi.

Malheureus'ment, Eugène Cornedouille n'en sait pas plus que c'qu'il m'a dit. Ah si. Y'aurait un gars dont l'nom serait parvenu à ses esgourdes pendant qu'il tentait d'sauver ses vieux os. Barbie. Ouai. C't'un surnom, j'suis au courant. C'mieux que rien, connard. Assez pour moi pour monter un plan tout simple. Un plan qu'même un autiste pourrait piger. L'vieux attend sur la plage pendant que j'ramène son p'tit fils. Moi, j'vais jouer les clients. Et quand l'nom de Barbie ressortira, j'montrerai les crocs et aurait une p'tite discussion avec l'fameux Barbie. Simple hein ? J'vous l'disait, même une chèvre pourrait l'faire. L'navire s'arrête en bordure de sable, y'a qu'moi qui descend. Cornegidouille et l'proprio du bateau attendront là.

J'devrais pas être trop long. 'Faut juste tomber sur l'comité d’accueil. Quelque chose m'dit qu'il faut prendre la direction de la ville géante qui touche les nuages des pointes de ses immenses bâtiments...